Comme en écho à ce billet, complété par celui d'Internet Actu, j'ai eu l'occasion de répondre hier à l'invitation du groupe "Présaje" pour une mini-conférence à l'occasion de la sortie de l'ouvrage "Le Harcèlement Numérique" dont un résumé (.pdf) est disponible ici.
Le débat, à l'image de l'ouvrage,
fut centré sur la problématique de la conservation des données
numériques. On y évoqua entre autres la "toute-nouvelle-future" carte
d'identité électronique (INES pour Identité Nationale Electronique
Sécurisée) dont il sera aussi question dans la prochaine journée
d'étude du CREIS.
Voici le "texte" de de mon intervention d'hier :
"Les moteurs de recherche sont de formidables machines à collecter et à centraliser l’information : 8 milliards de pages sont accessibles dans Google. Or ce marché désormais plus que rentable grâce aux revenus de la publicité en ligne, connaît une période de concentration inédite. Il y a quelques années on comptait une vingtaine d’outils de recherche, disposant chacun d’une part de l’information disponible sur Internet, avec chacun leurs spécificités.
Aujourd’hui seuls subsistent (autrement que de manière anecdotique) trois grands acteurs : Google, Microsoft (MSN) et Yahoo, le premier d’entre eux étant à bien des égards en situation quasi-monopolistique. Ceci n’est pas sans poser quelques problèmes en termes d’accès à l’information, puisque 3 visites sur 4 en France viennent directement de Google, qui n’a jamais masqué ses ambitions de devenir un guichet unique d’accès à l’information.
Une situation d’autant plus problématique que chacun des trois grands déploie activement une stratégie d’offre de type « portail » en multipliant les services personnalisés : « mon » courrier électronique, « mes » photos, « mon » weblog, « mes » titres d’actualités, etc.
Or pour pouvoir fonctionner, ces services réclament une identification nominative persistante : ce n’est plus simplement le numéro IP de notre machine qui est enregistré et conservé mais bien notre identité réelle, porte ouverte à la constitution de formidables fichiers clients, à la valeur commerciale colossale. Car ces services « personnalisés » ne collectent plus simplement nos noms, adresses et éventuellement centres d’intérêts : de plus en plus d’informations relèvent directement de la sphère de l’intime. De plus en plus d’entre nous n’hésitant pas à mettre en ligne des photos, des vidéos personnelles, des journaux intimes (weblogs). Derrière ce qui demeure – pour l’instant – un réseau non propriétaire et sans droits d’accès, se constituent d’immenses fichiers mondialisés accumulant les informations privées.
Face à cela, et devant les dérives avérées que constituent certaines pratiques de marketing « direct », il y a bien sûr le recours aux règles du Droit. Mais la puissance conférée par leur monopole les rend ignorants de certaines de ces règles : Google conserve ainsi (dans son « cache ») de manière parfaitement illégale une copie de pages ayant depuis longtemps disparues du réseau.
L’escalade vers un « toujours plus de services personnalisés aux usagers » peine de plus en plus à dissimuler celle vers « toujours plus de collecte centralisée ». L’arrivée des techniques de géolocalisation constituent une étape décisive : les sociétés commerciales n’ont, pour mieux vous approcher, pas seulement besoin de savoir « qui vous êtes » mais également « où vous êtes. »
Toutes ces données et informations personnelles, sont à disposition de ces opérateurs tout puissants qui peuvent dès lors appliquer un recoupement des données qui s’il n’est pas nouveau change radicalement de nature et d’échelle. Pour un peu moins de 50 dollars il est possible en entrant un nom, de récupérer son adresse, sa date de naissance, son numéro de sécurité sociale mais aussi : l’historique de ses déménagements et changements d’adresse depuis 10 ans, les amendes dont il a écoppé dans sa vie, les permis qu’il possède (moto, bateau …), les dates de ses mariages et de ses divorces, le montant du bien immobilier qu’il possède, la date d’achat de ce bien et le nom du vendeur, la taille du lot cadastral sur lequel il est implanté (accompagnée d’une vue satellite du lot en question). Mais pour le même prix vous saurez également : quel est l’âge moyen de la population de son quartier, le nombre de meurtres, viols et autres vols de véhicule qui y ont été commis, la composition ethnique du quartier, le niveau d’éducation et les langues parlées. Ce service est baptisé « inteliUS » (www.intelius.com) et n’est (pour l’instant ?) pas disponible en France. Pour constituer un tel « fichage », le service en question n’interroge que des données et des enregistrements publics tels que des listes de vente, des commandes sur catalogue, des abonnements à des magazines, des arrêts de cour, etc.
Que reste-t-il de l’intime une fois connus qui nous sommes, où nous sommes, ce que nous aimons, faisons et possédons ? Il reste à nous dire quoi aimer, quoi penser, quoi faire et où aller … Et c’est cet ultime pas qui est en passe d’être franchi. Microsoft met au point pour son prochain système d’exploitation une application baptisée « implicit query » qui scannera en permanence notre environnement de travail (les documents sur lesquels on a ou on est en train de travailler, les derniers mails reçus, etc …) pour nous proposer des résultats internet correspondants, sans même que nous ayons saisi quoi que ce soit dans un quelconque outil de recherche !
Ne nous y trompons pas, la traçabilité de nos actes n’est pas nouvelle : nos relevés de banque en ont toujours dit long sur nos achats et nos déplacements. La possibilité de recouper des informations peut parfois être salutaire quand elle permet de localiser ou d’arrêter des criminels en interrogeant, par exemple, la base de donnée d’un opérateur téléphonique.
Ce qui en revanche est alarmant c’est bien la dimension de plus en plus intime de l’information collectée par ces monarques de la recherche qui transforment Internet en un gigantesque fichier commercial.
Face à cela il n’est que deux réponses possibles. Premièrement, le droit, qui doit pouvoir être le garant pour chacun d’entre nous d’un droit à l’oubli et contraindre les outils de recherche à obtenir des usagers un consentement libre et éclairé. Avec de la part de l’état un devoir d’exemplarité au regard duquel la récente mise en garde la CNIL concernant le site centralisant les changements d’adresse fait un peu désordre. Deuxièmement l’éducation, la formation, la pédagogie de l’information qui doit mettre le plus grand nombre d’entre nous, le plus tôt possible, en situation de donner ou non ce consentement libre et éclairé."
OE
Je tombe à l'instant sur cet article de Libération qui en remet une couche.
http://www.liberation.fr/page.php?Article=301472
Rédigé par : olivier ertzscheid | 09 juin 2005 à 13:30