Je signale pour les distraits le dossier consacré par le dernier numéro (n° 3, juin 2005) de la revue Documentaliste-Sciences de l’Information à la formation des usagers à la maîtrise de l’information. Trois articles importants :
- L’identité professionnelle des formateurs à la recherche documentaire en premier cycle universitaire, de Christel Candalot dit Casaurang, qui, à partir des résultats d’une enquête sur les formateurs, montre la diversité des représentations de la formation documentaire et les problèmes posés ;
- La formation à la recherche d’information dans l’enseignement supérieur en filière scientifique, de Thérèse Martin, qui fait utilement le point sur le contexte institutionnel, scientifique et pédagogique des formations documentaires en premier cycle, et présente l’exemple de la formation méthodologique réalisée à l’Université de Poitiers.
- L’enjeu des référentiels de compétences info-documentaires dans l’Education Nationale, de Pascal Duplessis, article très riche sur lequel je voudrais rebondir.
AS
Dans ce texte, il est question des documentalistes de CDI, de l’ambiguïté de leurs missions, des enjeux de la formation documentaire des élèves, et surtout des référentiels de compétences… Toutes choses essentielles et qui constituent d’ailleurs le préalable des formations universitaires de premier cycle. Pascal Duplessis, qui a déjà beaucoup écrit et publié sur cette question, offre d’abord un historique complet de la notion et des expériences de référentiels, en mettant en perspective le jeu complexe des rapports entre l’institution et la profession des documentalistes, celle-ci élaborant des référentiels pour pallier aux silences de celle-là.
Mais le plus intéressant, à mon sens, dans cet article dense (comportant des annexes très riches) n’est pas là : il est dans l’analyse que fait P. Duplessis des fondements épistémiques et surtout des limites de ce modèle des compétences documentaires, à la base actuellement de toutes les formations d’usagers. Pour aller vite, disons que derrière la notion de compétence informationnelle, on trouve deux présupposés :
- l’idée de la transversalité de la documentation, idée largement partagée, dominante dans l’institution, selon laquelle tous les enseignants peuvent apprendre aux élèves les compétences documentaires. Le résultat est la dissolution des notions spécifiques de l’infodoc, la parcellisation des savoirs documentaires, le bricolage méthodologique généralisé, actuellement en vigueur dans les collèges et lycées… Nous sommes quelques uns à penser, comme Pascal Duplessis, qu’il devient urgent de sortir de cette représentation d’une documentation éternellement « au service des disciplines », qui fait l’impasse sur les contenus spécifiques de l’information.
- le deuxième postulat, à la base du modèle des compétences, est plus large et concerne tous les référentiels de compétences, aujourd’hui très en vogue : celui de « comportement observable ». On sait qu’une compétence, qu’elle soit informationnelle, linguistique, technique ou autre, est la combinaison de savoirs, de savoir faire et de savoir être, mis en œuvre dans une situation donnée. Et cette combinaison doit être « observable », évaluable, pour être certifiée. Je ne développerai pas ici la critique générale qu’on peut faire à ce modèle pédagogique, devenu le nouveau paradigme de l’entreprise et, malheureusement (à mes yeux du moins) de l’école et de l’université… Tout ça participe à ce qu’on pourrait appeler le « règne du visible » ou l’illusion de la calculabilité généralisée (toutes considérations critiques d’un certain discours sur les "nouvelles" technologies, qui n’engagent que moi !).
Comme Pascal Duplessis, j’attirerai simplement l’attention sur un point qui m’a toujours paru central : le fait que les référentiels de compétences occultent, voire au pire, éclatent toutes les notions, tous les concepts, toute la dimension théorique, réflexive de l’information et de la documentation. Il ne s’agit pas de savoir si les élèves comprennent, connaissent, réfléchissent sur… le mode de fonctionnement des moteurs de recherche (pour prendre cet exemple), il faut surtout qu’ils sachent les utiliser au mieux (ce qui est évidemment nécessaire). Toute la formation actuelle des usagers, dans le secondaire comme dans le supérieur, me paraît rester encore prisonnière d’une approche largement « utilitaire », méthodologique, voire procédurale, de la recherche d’information, car enfermée dans le modèle des référentiels de compétences. Ce qui pose la question de l’enseignement de ces savoirs documentaires : « Craignant de faire venir l’estrade jusque dans les CDI, ils (les documentalistes) se méfient des savoirs qu’ils auraient la charge d’enseigner – à moins qu’ils ne les méconnaissent simplement ? – afin d’honorer le contrat d’éducation à l’infoculture. »
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Les choses commencent à bouger cependant sur ces questions, peut-être plus vite dans le secondaire que dans le supérieur, où la spécificité de l’info-doc a encore un long chemin devant elle …. Si au moins tous les formateurs du supérieur pouvaient appuyer les efforts de leurs collègues du secondaire, pour avancer dans la voie d’un véritable curriculum de l’information, du collègue au lycée…
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AS
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