Laure ENDRIZZI
INRP - Veille scientifique et technologique
http://www.inrp.fr/vst/
Dans un contexte où l'appareillage conceptuel de l'information literacy est en effervescence, où son inscription quasi exclusive dans une logique d'offre et son recentrage persistant sur les outils documentaires sont de plus en plus contestés (cf. Lettre de la VST, avril 2006), la plupart des observateurs pointent plus ou moins ouvertement sur l'inadéquation des enseignements, marqués par une pédagogie de la transmission dans des espaces clos où s'exerce le pouvoir symbolique de l'enseignant, et globalement sur l'inadéquation des systèmes éducatifs, repliés sur la culture savante et démontrant peu d'inclinaison pour une culture de la participation et de l'échange. L'approche curriculaire de ces nouvelles "littératies" ne présenterait un intérêt que si elle s'inscrit dans une perspective globale de refondation et de promotion des compétences de communication, de création et d'action favorisant l'esprit critique et l'auto-efficacité : en filigrane, l'idée qu'il convient de favoriser (aussi) l'éducation informelle. Mais comment un tel discours, injonctif et quasiment convenu désormais, peut-il être opérationnalisé ? Quelles mises en pédagogie pour ces compétences multiformes qui ne cessent de générer de nouvelles inégalités ? Quelle articulation entre une conception instrumentale basée sur une segmentation des compétences et une conception globale privilégiant les processus cognitifs ? Quel(s) rôle(s) les bibliothèques ont-elles à jouer dans ces nouvelles orchestrations ? Le lieu "bibliothèque" peut-il devenir cet espace ouvert aux apprentissages informels ? C'est sur cette question que nous allons nous attarder un peu.
Des bibliothèques hybrides, entre services traditionnels et services électroniques
Alors que l'essentiel des recherches documentaires se font "hors les murs", les prophéties d'une bibliothèque désertée ne se sont pas réalisées. On sait aujourd'hui que la dématérialisation des accès à l'information ne se traduit pas par une désaffection des publics ; mieux, les bibliothèques sont toujours fréquentées, et ceux qui y "séjournent" le font moins pour emprunter des documents que pour profiter des espaces de travail. La possible extinction des bibliothèques au profit de services exclusivement numériques est devenue une vision largement contestée et la question du lieu physique et de l'aménagement des espaces pour une meilleure synergie entre prestations traditionnelles et prestations électroniques occupe une position grandissante dans les projections.
La bibliothèque hybride, concept lancé lors de la troisième et dernière phase du Programme des bibliothèques électroniques du Royaume-Uni (eLib) et formalisé dans le projet HiLife dans les années 2000, est un signe de cette mutation. Il n'est pas anodin que l'ABF en ait fait une des principaux axes de son récent congrès consacré par ailleurs aux bibliothèques numériques (cf. comptes rendus sur Bibliopédia) : l'articulation cohérente d'une offre documentaire associant supports imprimés et supports électroniques, de services de proximité et de services à distance, devient une préoccupation majeure. De même, les quatre scénarios proposés à la réflexion dans le rapport Bibliothécaires en prospective (janvier 2006) opèrent un recentrage sur la nécessaire définition de stratégies de développement des bibliothèques publiques et pointent sur le dépassement des problématiques de constitution de collections : des scénarios combinatoires qui explorent justement ces hybridations possibles en terme de management, de publics et de collections. C'est également un des points forts du rapport du CEFRIO au Québec, La bibliothèque : un espace d'innovation (mars 2006, présentation des résultats) qui met en avant la nécessaire transformation de la vocation, des rôles et des espaces des bibliothèques gouvernementales.
Alors faut-il considérer ces questions d'espaces comme un nouveau paradigme pour repenser la position des bibliothèques dans le paysage de l'éducation à l'information ? Des espaces qui n'auraient plus seulement pour fonction de permettre l'accès à des collections, imprimées ou électroniques, mais qui deviendraient des lieux de vie où les dimensions personnelles et collectives de l'expérience sociale, tellement nécessaire à l'apprentissage, seraient également valorisées, où les hiérarchies et les cloisonnements seraient abolis ? Des lieux à investir, combinant espace public (collectif) et privé (personnel), espace formel et informel, espace de formation et d'autoformation, intérieur et extérieur à la fois ciment de la communauté éducative et lieux d'interactions pour la communauté locale ? Des lieux à géométrie variable donc, qui favoriseraient non plus la prescription, mais la gestion des opportunités et des échanges, entre local et global, entre proximité et distance ?
Plus d'espaces virtuels mutualisés
Bien évidemment ces formes d'hybridations ne peuvent être mises en oeuvre sans tenir compte des contextes propres, et notamment de la taille des bibliothèques et de leur dotation en personnel, des relations qu'elles entretiennent avec leurs tutelles, des réseaux dans lesquelles elles s'inscrivent ou non, de leurs publics cibles, de leurs politiques d'acquisition et collections. A minima, qu'il s'agisse de bibliothèques scolaires, universitaires ou de lecture publique, la constitution de réseaux de mutualisation est une nécessité pour ce qui concerne les collections et les services électroniques. Au Royaume Uni par exemple, le projet INSPIRE (Information sharing partners in resources for education) s'inscrit dans cette perspective : sous l'égide du SCONUL, il vise à rationaliser l'accès à la documentation électronique dans un cadre national élargi intégrant bibliothèques publiques, universitaires et nationales, tout en renforçant la dimension régionale de l'offre.
Si depuis 2003 en France, la question essentielle du continuum pédagogique entre le secondaire et le supérieur se pose ouvertement (cf. Assises nationales : Education à l'information et à la documentation), si ce chantier commun en faveur d'une "culture de l'information" se poursuit aujourd'hui notamment au sein du laboratoire CIVIIC, les réflexions restent largement ancrées dans des approches curriculaires, au détriment d'une vision plus globale et plus transversale en faveur d'une réelle mise en cohérence et rationalisation des services.
Dans ces configurations, les grands perdants restent les bibliothèques scolaires. Faut-il déplorer qu'aucun consortium tel que Couperin ou Carel ne vienne alléger les acquisitions en documentation électronique dans les bibliothèques scolaires, qu'aucune collaboration ne soit envisagée entre éducation nationale et lecture publique, ne serait-ce que pour l'interconnexion des catalogues à l'échelle local et l'accès au prêt ? Faut-il regretter que le déploiement des ENT, coeur du système d'information de l'établissement, bénéficie d'une politique d'accompagnement très inégale d'une académie à l'autre, voire d'un établissement à l'autre, que les personnels de bibliothèques, "maître d'oeuvre des ressources informationnelles" selon Paulette Bernhard, soient si peu associés à de tels projets ? (sur ce point, on pourra consulter les synthèses du blog des espaces numériques de travail, initiative conjointe de la FING et du Café Pédagogique, qui s'appuie sur les retours d'expérience des porteurs de projets pour procéder à des analyses qualitatives).
Des espaces physiques communs ?
Mais l'hybridation peut encore être poussée plus avant, pour regrouper dans un même espace ou dans plusieurs espaces communs des services fondés sur des alliances entre bibliothèques publiques et scolaires, ou plus récemment entre bibliothèques publiques et universitaires. Le modèle des bibliothèques mixtes, désigné dans la littérature internationale sous les termes "joint-use library", "dual-use library" ou "combined library", mise sur les convergences de vue et d'expertise professionnelle relatives à l'accès aux ressources numériques et à l'éducation à l'information, au delà des divergences contextuelles. Ce qui frappe dans ces approches, c'est le renforcement du rôle pédagogique des bibliothèques publiques et des autres instances culturelles (cf. notamment, la campagne Inspiring learning for all du Museums, Libraries and Archives Council (MLA) au Royaume Uni). Corrélativement c'est un certain pragmatisme à la fois économique et social qui domine, en mettant l'accent sur la dimension locale et les services de proximité (emploi, etc.). En guise d'introduction, on pourra lire l'article d'Alan Bundy, Joint-use libraries - the ultimate form of cooperation (2003) qui dresse un panorama des initiatives internationales depuis les années 80 et fait une revue commentée des difficultés pointées par les premières analyses.
Dispositif compensatoire ou véritable projet de société ? Si la naissance des premières bibliothèques mixtes dans les années 80, en Norvège et au Danemark par exemple, semble se justifier davantage par des arguments économiques, la question d'une politique volontariste, basée sur une planification coordonnée des actions, est aujourd'hui d'actualité, pour une articulation optimisée des deux logiques. C'est ce que nous apprend l'un des derniers numéros de la revue Scandinavian public library quaterly (vol. 39 n° 1, 2006) entièrement consacré aux collaborations entre bibliothèques publiques et écoles. L'article New perspectives for the merging of public and school library montre que la rénovation du modèle de la "combi library" vers une "integrated library" dépasse largement le cadre d'une coopération bilatérale dans des zones démographiquement pauvres ou entre des établissements de petites tailles, pour promouvoir un lieu de culture, d’apprentissage et de connaissances, porté par des professionnels engagés, véritables consultants en information.
La réflexion au Royaume Uni sur ce modèle mixte s'est véritablement déployée il y a une dizaine d'années. Plusieurs projets de recherche au centre Evidence Base de l'université UCE Birmingham s'intéressent à ces questions de coopération. L'étude Collaboration between libraries and education : supporting the learner, réalisée par le CIRT (Centre for information research) en 2002, examine les collaborations entre bibliothèques publiques et universitaires et montre que, malgré la faiblesse des données relatives à l'impact sur les élèves, les principaux bénéfices concernent l'offre mutualisée de ressources, le partage d'expériences et les opportunités pour la formation continue et le subventionnement. S'agissant des bibliothèques mixtes proprement dites, les travaux de Sarah McNicol au sein du groupe "dual use library community of practice" (rapports, études de cas, base de bibliothèques mixtes, forums, etc.) constituent une mine incontournable d'informations, même si les références sont parfois un peu anciennes. L'étude Investigating links between school and public libraries (2003) explore les modes de collaboration autour d'activités communes (lecture, éducation à l'information et soutien scolaire), et de formations professionnelles conjointes, avec un éclairage spécifique sur le rôle des school library services. Dans l'étude Dual use public and school libraries in the UK (2003), l'auteur montre que malgré des bénéfices aisément identifiables, certains freins subsistent : difficultés à construire une offre de services équilibrées entre les deux parties, réticences des enseignants, manque d'accompagnement des autorités dans la mise en oeuvre.
Et ailleurs ? Etats Unis et Australie se sont également engagés dans cette voie. Pour en appréhender les dynamiques, on consultera par exemple l'article d'Alan Bundy, Places of connection : New public and academy library buildings in Australia and New Zealand (2005) sur la situation des bibliothèques mixtes en Australie et Nouvelle Zélande, et l'analyse de Stacy Wile, Have these facilities live up to their promises ? (2005), sur les coûts et bénéfices de deux bibliothèques mixtes américaines (lecture publique / enseignement supérieur) considérées comme des modèles : celles de la Nova Southeastern University en Floride et de la San Jose State University en Californie.
Quelques pistes de lecture donc qui donnent à voir (et à penser ?), sans exhaustivité, ce qui se passe hors de nos frontières hexagonales autour de ces questions du lieu, entre virtuel et physique...
Je ne trouve pas contrairement au trackback recensé que l'article jargonne. Bien au contraire, l'article s'adresse peut-être à des spécialistes mais ce genre de réaction est révélateur de l'insuffisance de curiosité intellectuelle de beaucoup.
Laure nous ouvre des pistes intéressantes et montre une fois de plus que le sujet dépasse nos frontières et qu'il peut être intéressant de voir ce qui se fait ailleurs.
En outre je crois que la culture de l'information ne concerne pas qu'une sphère de spécialistes de l'info-doc mais que ses liaisons sont bien plus importantes
Rédigé par : Olivier Le Deuff | 11 juillet 2006 à 22:18
Je vous signale mon blog , un observatoire de wikipedia, http://wikipedia.un.mythe.over-blog.com , où vous verrez que la réalité n'est pas exactement telle que vous paraissez vous la représenter
Wikipedia prétend être ce qu'elle n'est pas et promet ce qu'elle ne peut tenir.
De plus ses principes sont mauvais et très criticables ; ses règles sont floues et changantes ; leur application aléatoire, semble souvent arbitraire. Elle se juge à ses résultats, très discutables.
Beaucoup d'inexactitudes s'y glissent, de grossières erreurs et même une propagande insidieuse omni-présente.
la chose demande à être discutée et examinée de près.
Voir sur le blog cité. Beaucoup d'articles sont examinés .
Beaucoup de problèmes sont soulevés.
Vous y lirez de nombreux articles qui montrent les tricheries, malhonnêtetés et déformations de points de vue jusqu'à la propagande en quantité illimitée comme internet en donne les possibilités, surtout avec un media complètement ouvert à tous et à toutes les opinions, qui néanmoins se présente comme une encyclopédie . Mais on constate des millions d'erreurs en ligne et une propagande éhontée, même si une fausse "étude", faite par Nature qui semble déformer un peu les choses voudrait laisser croire qu'il s'agit d'une encyclopédie . La réalité est tout autre.
mon nom de plume : Alithia
je suis professeur et ai quelque expérience des domaines que j'examine et analyse
L'étude de Nature n'est pas sérieuse = 42 articles pris en compte seulement (sur 2 millions en anglais ) et on ignore les critères retenus qui ne sont pas communiqués ; seules les "erreurs" sont prises en compte et non la qualité des articles ; la propagande n'est pas recherchée ; de + une interprétation des résultats tout à fait contestable etc ... Voir par exemple l'article : "Nature sur wikipedia" (reprise) http://wikipedia.un.mythe.over-blog.com/article-6213952.html
ou encore l'article : "Nature et wikipedia (suite) "http://wikipedia.un.mythe.over-blog.com/article-6221592.html
+ de nombreux autres articles qui montrent la non fiabilité : http://wikipedia.un.mythe.over-blog.com/categorie-1018222.html
et la propagande présente sur wikipedia : http://wikipedia.un.mythe.over-blog.com/categorie-979823.html
Rédigé par : alithia | 01 avril 2007 à 02:06