On
connaissait la serendipité (voir notamment cet
ancien
billet), terme littéraire forgé par l'écrivain
anglais du 18ème siècle Walpole, à partir de
l'île imaginaire de Serendip : on connait moins la zemblanité,
terme également d'origine littéraire, forgé par
un autre écrivain anglais, mais contemporain, William Boyd,
dans son roman Armadillo, paru en 1999.
Il
faut saluer (même à retardement !) le talent littéraire
et conceptuel de Boyd, qui a réussi à forger un nouveau
terme et un nouveau concept, doublement symétrique par rapport
à la serendipité : si celle-ci est, selon les
définitions courantes (listées ici),
« l'art de faire des trouvailles » (Pek
Van Andel), « l'art de faire des découvertes
heureuses, inattendues et utiles par hasard » (Mark
Raison), etc., la zemblanité est son exact
contraire, puisqu'elle désigne « la faculté
de faire de façon systématique des découvertes
malheureuses, malchanceuses, attendues et n’apportant rien de
nouveau » ("the faculty of making unhappy,
unlucky and expected discoveries by design") (voir le blog
d'Automates
Intelligents).
Cette
opposition de sens s'incarne dans une symétrie géographique
parfaite, puisque William Boyd est allé aux antipodes de
Ceylan (considérée comme l'île du roi de
Serendip) trouver la Nouvelle Zemble, grande île
quasi-désertique au nord de la Sibérie, pour en faire
la racine de son néologisme.
Serions-nous
là face à une nouvelle fracture Nord-Sud, assez
inattendue ? ;)
En
tout cas, les ressources de la géographie sont inépuisables
pour forger de nouveaux concepts et il faudrait continuer sur cette
voie : pourquoi pas, par exemple, créer la « micronésité »
(de l'archipel de Micronésie), pour désigner
l'éparpillement et la dispersion des parcours sur le web ?
Si
le concept de zemblanité est intéressant à
étudier du point de vue de la recherche d'information, il
décrit une réalité assez quotidienne et nous
avons tous, à un moment ou un autre, fait de la zemblanité
sans le savoir.
Le
nouveau défi posé aux formateurs de la culture
informationnelle sera donc celui-ci : comment aider les élèves
et étudiants, dans leurs parcours de recherche, à
éviter les terres arides et glacées de la zemblanité
pour s'épanouir et s'ébattre dans les vertes prairies
de la serendipité ?
AS
PS : merci à cette étudiante
en Documentation de l'IUFM de Rennes, à qui je dois cette
découverte « serendipitesque » ; un
rapide sondage autour de moi m'a d'ailleurs permis de voir que mon ignorance était largement partagée : l'honneur est donc
sauf ! ;)